Extrait de "Vollore et ses environs" de l'Abbé
Guélon (1890)
" Le Grun de Chignore n'est pas moins
intéressant pour l'archéologue. Grâce aux recherches
des savants, et en particulier aux études et aux fouilles
faites en ces derniers temps par le docteur Félix Planat,
il est démontré aujourd'hui qu'aux temps les plus
reculés, les premiers habitants de l'Auvergne avaient établi
au sommet de Chignore une ou plusieurs stations importantes.
1° Ce plateau a été habité
et fortifié. Sur le sommet, vers le midi, c'est-à-dire
āl'exposition la plus chaude, au pied du roc Mouthey, existe
un mur de circonvallation en pierres sèches ; plus bas on
découvre d'autres murailles; en différents endroits
on voit de la cendre et des débris de charbons mêlés
āla terre. L'incendie, selon toute apparence, détruisit,
ādifférentes époques, les habitations élevées
ça et lāsur ces sommets.
2° Ce qui est le plus frappant, ce sont
certains monuments que l'on trouve sur la montagne ou dans ses environs.
Dans une Note archéologique sur le Grun de Chiniore, publiée
en 1874, notre savant compatriote affirme que, " parmi les
" sommets qui forment la chaîne granitique séparant
l'Auvergne " du Forez, il n'en est pas de plus intéressant
au point de vue géologique… " ; et il parle de
sept pierres - autels qu'il aurait découvertes sur ces cimes.
Sans toucher aux questions si controversées
parmi les savants, touchant l'origine et la destination des monuments
désignés sous les noms de pierres celtiques, pierres
druidiques, pierres gauloises, dolmens, menhirs, etc. , questions
qui ne sont pas de notre compétence et dont nous n'avons
pas fait une étude spéciale, notre rôle d'historien
nous oblige āparler d'un de ces monuments ācause
de son importance. En voici la description :
" Au-dessus de l'arête qui domine
le contrefort sur lequel est bâti le bourg de Vollore-Ville,
on aperçoit un rocher volumineux désigné de
temps immémorial, par les gens du pays, sous le nom de La
Pierre - de - l'Homme. Sa forme est celle d'un cube irrégulier,
dont la hauteur est de trois mètres sur deux de largeur.
Une fissure verticale partage cette pierre en deux portions égales.
L'écart entre les deux fragments varie entre 10 et 20 centimètres.
Sur la surface du plus petit on remarque deux excavations bien évidemment
de main d'homme.
L'une est un trou parfaitement hémisphérique
de 0m35 de diamètre et āsurface polie; l'autre, une
sorte de gorge évidant la face orientale du cube qui représente
exactement en creux un cylindre ābout arrondi, coupé
dans le sens de son axe et long de 0m25. Cette gorge est ā0m07 de la cuvette. Le petit intervalle qui les sépare est
légèrement déprimé, disposition qui
semble avoir été intentionnelle en vue d'établir
une communication entre les deux excavations. Si, en effet, la cuvette
est remplie d'eau, celle-ci coule toujours par le point évidé
pour tomber dans le milieu du trajet de la gorge. La pierre de l'homme
repose sur un piédestal naturel. ..
Bassins de la "pierre de l'homme"
Du côté de la vallée, sa
hauteur est de 12 mètres; elle est moindre aux autres aspects.
C'est précisément par ce point le plus élevé
que la face supérieure du monolithe est accessible, ce qui,
sans aide, ne laisse pas d'être assez périlleux. "
D. PLANAT.
A quelle époque remontent ces excavations
? A quels usages servirent-elles ? Comment expliquer la légende
religieusement conservée ātravers les siècles
et qui rappelle aux habitants de la montagne quelque chose d'extraordinaire
et d'insolite quand on leur parle de La Pierre -de - l'homme ?
Il ne faut pas oublier que le Grun de Chignore
s'élevait comme le premier poste avancé entre la riche
Limagne et les pays montagneux des Ségusiaves. Couverts de
forêts dans certaines parties, inaccessibles sur quelques
versants granitiques, il fut, pour les premiers habitants, un lieu
d'abri, de refuge et de défense. On y a trouvé divers
objets : les uns se rapprochent au moyen age, les autres āune époque beaucoup plus ancienne ; tous indiquent qu'il
y a eu lādes habitations humaines dans les temps les plus
reculés. Que furent ces habitations ? Foyers pour l'alimentation
et feux de signaux, comme on en trouve chez les peuples primitifs
et sauvages, huttes en gazon ou en pisé, constructions gallo-romaines
? II est difficile de se prononcer.
Des affirmations contradictoires ayant été
soulevées dans la séance académique du 10 juin
1886, nous avons écrit āM. le docteur Félix
Planat. L'impartialité nous oblige āciter la plus
grande partie de sa réponse, d'autant qu'elle confirme pleinement
notre rédaction, ālaquelle nous ne saurions rien
changer.
Nice, 18 juin 1886.
" Je persiste dans les conclusions de
mon travail, et j'y suis d'autant mieux fondé que, peu après
sa publication en 1875, j'avais découvert deux autres objets
dont la signification suffit pour faire tomber l'objection faite
: une hachette en jade et un bracelet d'enfant en bronze. Ce dernier
est au musée de Clermont. Dans la même vitrine, et
provenant du même lieu, se trouvent une agrafe et une bossette
de mors de cheval également en bronze.
On peut encore invoquer comme favorable āl'existence d'une station préhistorique au roc Mouthey l'opinion
d'un vétéran de l'archéologie auvergnate, M.
Aymard, conservateur du musée du Puy. Ce savant, qui a particulièrement
étudié les monuments mégalithiques, est convaincu
de la parfaite authenticité de ceux du massif de Chignore
dont je lui avais adressé une description des plus scrupuleuses.
Il ajoutait dans la très longue lettre que j'ai conservée,
que la caractéristique des postes celtiques (?) ou du moins
de la plupart d'entre eux, c'est, dans leur voisinage, des dénominations
de lieux quelconques où se trouvent toujours les substantifs
mule ou mulet accolés ād'autres.
Or nous avons précisément près
de Chignore les désignations de Rochemulet et de Pasmôle
(pas de mule). C'est non loin de ce dernier village que se voient
les plus remarquables pierres ā bassin que j'aie découvertes.
Il en existe d'autres āl'Hermitage
même, et derrière le bois de Pasmôle dans une
sorte de désert. Le dernier monument tout āfait inédit,
et que je vous prie d'indiquer en mon nom, se trouve sur un court
piton de granit et consiste en une sorte de fauteuil de pierre connu
dans la région sous le nom de la Chaize - au - roi.
La Chaize au roi ? (Pasmole)
S'il est incontestable et incontesté
que les débris d'armes et de la plupart des fragments de
poterie que j'ai tirés de Chignore datent du moyen âge,
ainsi que les médailles qui s'y sont rencontrées (1000
ou 1100 environ), époque de la destruction de l'oppide, il
est puéril de prétendre que celui- ci n'a pas existé
au même titre bien des siècles auparavant. Car, ici,
outre des pierres ā bassin et des objets préhistoriques,
n'y a-t-il pas encore la légende toujours vivante dans le
pays et que vous connaissez ? Les chartes anciennes ne parlent-elles
pas assez des droits des hommes de Chiniore ? Tout ne semble-t-il
pas concourir en vue de faire admettre la nécessité
de l'occupation au moins intermittente d'un tel poste stratégique
campé sur la bifurcation des deux voies principales qui faisaient
communiquer les Arvernes avec le pays des Boïens et des Ségusiens…
(Voir chapitre II).
Notre contradicteur prétend avoir fait
des fouilles ā Chignore sans succès aucun. Sur ce
point, je le crois d'autant plus facilement que sur le même
endroit je n'ai jamais rien retiré moi-même. Tout ce
qui a été découvert, l'a été
au centre même, ou plutôt sur le plateau culminant du
piton, dans l'intérieur de l'enceinte la plus élevée.
Lāun humus gazonneux peu épais, recouvrait le sous-sol
essentiellement granitique. C'est certainement cette pénurie
de terre qui a fait que les objets préhistoriques ou gallo-romains
s'y sont montrés si rares, dispersés sans doute qu'ils
ont été, par les générations successives
qui ont occupé l'oppide.
Somme toute, si vous voulez mon avis, je vous
conseille de conserver votre rédaction première qui
a pour elle toutes les probabilités, je désirerais
dire les certitudes, par suite des preuves matérielles exposées
plus haut... "
En attendant une solution péremptoire,
qui ne viendra peut-être jamais, toujours est-il qu'en l'an
43 de l'ère chrétienne la ville de Vollore et la montagne
de Chignore étaient traversées par une de ces voies
romaines qui ont sillonné la Gaule ācette époque.
"
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