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Restes de tegulae et d'imbrex

 

 

 

 

 

 

 

 

Les différentes couches archéologiques

 

 

 

 

 

 

 

 

Tegulae et imbrex reconstituées

 

 

 

 

 

 

 

Les restes de poterie

La Garde

Localisation

Lieu de découverte : " La Garde ".
800 m à vol d'oiseau, au sud-ouest du château de Montguerlhe.
Carte IGN 2631E - Thiers / Altitude : 750 m

Circonstances de la découverte

Suite à la recherche d’une source proche de La Gonie (commune de Sainte Agathe), le creusement d’une fosse (20 m de long, 5 m de large pour une profondeur de 3 à 4 m) a été effectué dans le milieu des années 1990. Une deuxième fosse a également été réalisée en même temps à 30 m au nord-est de la première.

Pendant l’hiver 1999-2000 Michel Sablonnière a découvert accidentellement des morceaux de terre cuite dans la première fosse à une profondeur régulière d’environ un mètre (dans la tranche de la fosse). Les premières observations permirent de conclure à des restes de tuiles gallo-romaines (tuiles plates à rebords). Aucun vestige de tuile n’a été repéré dans cette deuxième fosse.

Résultats des premières fouilles

Le 20 août 2001, Michel Sablonnière et Laurent Mosnier décident de creuser dans la zone où avait été réalisée la première découverte afin de confirmer la présence de tuiles gallo-romaines et d’estimer la taille du gisement. Environ 1 à 2 m3 de terre ont été retirés du flan de la fosse. Les premières observations furent les suivantes :

- la présence à environ 80 à 100 cm de la surface de nombreux morceaux de tuiles gallo-romaines (Tegula et Imbrex) a été remarquée. Les morceaux les plus représentatifs ont été prélevés et séchés. Les morceaux de terre cuite prélevés étaient très fragilisés par leur long séjour dans le sol et l’humidité. Néanmoins, ces morceaux de tuiles ont rapidement retrouvés, après séchage, leur solidité et leur rigidité.

- la couche archéologique où se trouvent les morceaux de terre cuite possède également de nombreux morceaux de pierre et de roche de petite taille (granit). Cette observation se fait uniquement sur cette couche (restes de murs ?).

- des morceaux de poterie (terres cuites et céramiques) ont également été trouvés en dégageant les morceaux de tuiles. Deux fragments de tailles plus importantes sont vraisemblablement les restes d’une grosse potiche (proximité de l’anse) et semblent plus récents : enduit verni vert foncé. Les autres restes informes n’évoquent pas d’objet en particulier.

- le creusement pratiqué lors de la mise à  jour de la source a fait apparaître plusieurs couches géologiques. Ces couches mettent en évidence l’authenticité du site : pas de signe d’enfouissement ou de retournement du sol. Il a été remarqué également que cette superposition de couches ne se retrouve pas dans la deuxième fosse où la couche de terre est uniforme. Ces couches géologiques sont les suivantes (en partant de la couche la plus profonde) ::

1 - > 1 mètre : couche de terre de couleur ocre très tassée et dense, vraisemblablement du gorre. Cette couche se retrouve jusqu'au fond de la fosse (3 à 4 m).

2 - 80-100 cm : couche archéologique où sont présents les restes de tuiles gallo-romaines, les morceaux de poterie, des pierres (granit) de petite taille et le tout mélangé à de la terre

3 - 60-80 cm : terre végétale marron foncé faisant penser à de la tourbe. Cette couche indique vraisemblablement une zone marécageuse (mare, tourbière…) pendant quelques siècles.

4 - 40-60 cm : terre argileuse homogène de couleur marron claire. Cette terre semble avoir été travaillée (activité agricole : culture, charruage, hersage…) pendant quelques siècles.

5 - < 40 cm : couche de terre et de gorre mélangés. Beaucoup de racines de fougères et de matière végétale en décomposition indiquent vraisemblablement un abandon de la culture sur les derniers siècles.

Toponymie : curtis, puys et gardes

Dans son ouvrage « Castellas avant l’An Mil » *, l’archéologue Jean-Claude Poteur nous permet de clarifier le terme de « Garde ». En effet, le nom « garde » de ce lieu de la montagne thiernoise révèle, en tout cas oriente, vers la présence d’un lieu fortifié du haut Moyen Age.

Nous citerons ici le point de vue de Jean-Claude Poteur :

« Les deux toponymes garde et puy concernent incontestablement des sites défensifs pré-féodaux. Ils désignent des fortifications privées que l’on ne sait pas qualifier juridiquement. Ce ne sont pas des centres de circonscription, de châtellenie, ce ne sont pas encore des seigneuries banales. Les scribes catalans et roussillonnais ont, au 10ème et au début du 11ème siècle, rencontré la même difficulté pour qualifier ces « château » qui en sont sans en être ; ils ont pour cette raison adopté, une litanie descriptive qui montre leur hésitation : « castellum vel roca vel pujos » (puy ou roche fortifiée que l’on dit château »).

Les puys
« Le mot puy (aussi peille, pey, pijet, punch) désigne un sommet isolé généralement terminé par une plate-forme. »

Les gardes
« Garde (aussi guardia, gardette) est un toponyme d’origine germanique (warte) qui signale les enceintes défensives. Comme la salle (par rapport à l’aula), il traduit un changement d’encadrement ; celui-ci passe des latins aux germains ou à des collaborateurs latins profondément germanisés et assimilés à la classe dirigeante franque. Nous avons vu que cette mutation s’accomplit vers le milieu du 8ème siècle avec la reprise en main des Carolingiens. »

Les curtis
« Le mot curtis est celui qui a le plus fréquemment supplanté celui de villa pour dénommer le centre domanial. Le changement de vocable accompagne un changement de site et d’organisation de l’habitat. … Les établissements fouillés s’étendent souvent sur une assez grande superficie. La clôture ne limite pas seulement la cour dans laquelle sont répartis divers bâtiment d’habitation et de dépendances, mais des murs secondaires circonscrivent aussi ce qui peut avoir été le jardin, l’ouche, l’enclos à bestiaux… »

« La curtis n’est pas fortifiée par principe, sa clôture n’est généralement pas défensive. C’est vers le 8ème siècle semble-t-il que la cour se rétrécit. Les dates ne sont pas très assurées et des formes diverses peuvent chronologiquement se chevaucher. En tout cas, petit à petit la clôture devient enceinte et elle se contracte pour être plus facilement défendable ; on rejette à l’extérieur du réduit militaire les organes non essentiels. Mais on n’arrive pas à ce résultat par une évolution linéaire. »

Cette étude toponymique du mot « garde » ferait penser que ce lieu où quelques débris d’objets archéologiques ont été découverts, aurait été occupé au milieu du Haut Moyen Age par un complexe fortifié primitif, hybride de la ferme domaniale et du château fort.

De même, ces toponymes donnent des indications sur l’éventuelle origine d’autres lieux de la région thiernoise : Courty, le puy de Celles…

* Castellas avant l’An Mil / Jean-Claude Poteur / Château-forts d’Europe n°11 / 1999

Premières conclusions

L’authenticité du gisement semble évidente grâce la présence des différentes couches géologiques. La présence des tegulae confirmerait une occupation du site dans les premiers siècles de notre ère (1er à 5ème siècle après JC).

Néanmoins, il convient d’être prudent pour la datation de cette découverte. Charles-Laurent Salch, éminent archéologue de Strasbourg, spécialiste des châteaux forts, nous rappelle dans une lettre de correspondance qu’il faut être très prudent avec les « Tegulae » : « Je voudrais aussi vous rendre attentif à la prudence qu’il convient d’avoir vis à vis des tegulae. En Provence, elles sont utilisées sans doute jusque vers la fin du moyen âge. En Alsace, les fouilles des grands châteaux en ont livré dans les couches du XIIème siècle (notamment Haut-Eguisheim et Ottrot) ».

La toponymie du nom « garde » déplacerait l’origine du site de quelques siècles vers le milieu du Haut Moyen Age. La définition des gardes donnée par Jean-Claude Poteur en ferait même un bâtiment hybride défensif pré féodal, un ancêtre des châteaux-forts.

La proximité du plateau de Montguerlhe (800 m à vol d’oiseau) laisse penser que le château actuel (11ème siècle) serait le successeur du site fortifié hypothétique de la Garde. Ce dernier ayant été abandonné en raison du caractère plus défensif du site du château de Montguerlhe (sommet du plateau). Les deux sites très proches ont pu également connaître un développement parallèle et contemporain, la Garde ayant été abandonnée dès la construction de Montguerlhe, vers le 11ème siècle.

La proximité de la voie romaine passant par Chignore et d’une autre plus modeste passant par Sainte Agathe ne peut que plaider en faveur d’une occupation du plateau de Montguerlhe et de ces environs dès l’antiquité.

Les fouilles effectuées par Michel Sablonnière et Laurent Mosnier ne furent que très sommaires pour ne pas détériorer un éventuel site d’une grande ampleur. Néanmoins elles permettent de confirmer l’authenticité et la présence d’une occupation gallo-romaine, voire moyenâgeuse dans ce coin de la montagne thiernoise.

L’excavation créée montre que d’autres fragments de tuiles (peut-être de poterie) sont enfouis à la même profondeur en direction du nord. Une fouille organisée par des professionnels permettrait de mieux évaluer l’ancienneté et la taille du site, ainsi que d’identifier le type de bâtiment découvert : fort, villa, curtis, garde, source…

L’excellente orientation du site de « La Garde » au sud du plateau de Montguerlhe et le remarquable point de vue sur le Grun de Chignore et le Roc Blanc ont dû fortement contribuer à l’implantation humaine de ce lieu dès l’antiquité voir bien avant...


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